Diomaye-Sonko…un duo en quête d’un nouvel équilibre institutionnel
Le paysage politique sénégalais, caractérisé depuis plusieurs années par une forte polarisation, semble entrer dans une nouvelle phase avec l’arrivée au pouvoir du Parti des Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la Fraternité (PASTEF). Au cœur de cette reconfiguration, l’alliance entre le Président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre, Ousmane Sonko, alimente les débats. Des rumeurs persistantes évoquent d’ailleurs une possible réforme constitutionnelle visant à renforcer les prérogatives du chef du gouvernement. Cette perspective, si elle est confirmée, interroge l’équilibre des pouvoirs et l’avenir de la gouvernance dans un pays encore marqué par de profondes divisions.
Longtemps perçu comme un modèle de stabilité démocratique, le Sénégal a vu son arène politique se fracturer de manière significative ces dernières années. La confrontation entre l’ancien régime et l’opposition, incarnée par le duo Sonko-Diomaye, a atteint des sommets de tension, cristallisant les frustrations sociales et économiques. Cette polarisation, souvent qualifiée de «bipolarisation» dans le débat public, a généré un climat de défiance et parfois de violence, mettant à l’épreuve les institutions. Elle a réduit l’espace pour le dialogue et le consensus, laissant peu de place aux voix intermédiaires et aux compromis nécessaires à l’avancement national. La nouvelle équipe au pouvoir est désormais face au défi de la décrispation et de la réconciliation d’où l’appel au dialogue lancé par le président Diomaye.

L’actuel dispositif constitutionnel sénégalais confère certaines des prérogatives au chef de l’État. Cependant, la stature politique et l’ascendant populaire d’Ousmane Sonko, figure de proue du parti au pouvoir, ont naturellement positionné le Premier ministre au centre du jeu politique. Les murmures autour d’une modification de la Constitution pour élargir les pouvoirs du chef du gouvernement ne surprennent donc pas. Cette réforme, si elle voit le jour, pourrait transférer des prérogatives présidentielles significatives au Premier ministre. «Je veux un Premier ministre super fort, n’en déplaise à ses détracteurs», avait déclaré le président.
Une telle réforme soulève plusieurs questions fondamentales. D’abord, quel serait l’impact sur l’équilibre des pouvoirs et la stabilité institutionnelle ? Renforcer le Premier ministre pourrait clarifier la répartition des rôles, mais aussi créer des tensions si le Président et son chef de gouvernement venaient à s’opposer. Ensuite, la légitimité : une réforme de cette ampleur devrait-elle passer par un référendum populaire pour garantir l’adhésion des citoyens et éviter toute accusation de manipulation politique ? Cette démarche est-elle guidée par une réelle volonté d’amélioration de la gouvernance ou par des considérations purement politiques liées à la configuration actuelle du pouvoir ?
Les réactions à une éventuelle modification constitutionnelle sont déjà divisées. Les partisans du projet y voient une rationalisation du pouvoir exécutif, adaptée à la réalité politique où le Premier ministre incarne souvent le programme du gouvernement. Ils insistent sur la nécessité de donner les moyens d’agir à celui qui est en première ligne face aux attentes des Sénégalais. Cependant, des voix s’élèvent, craignant une concentration excessive du pouvoir entre les mains d’un seul homme ou d’un binôme, potentiellement au détriment des contre-pouvoirs et des institutions de régulation démocratique. Le risque d’une «hyper-présidentialisation» du poste de Premier ministre, même s’il est techniquement un renforcement, est pointé du doigt par nombre d’observateurs.

Au-delà des considérations techniques, la légitimité d’une telle réforme est cruciale. Les attentes des sénégalais sont clairs : rupture, justice sociale, souveraineté. La question se pose de savoir si une modification de la Constitution, perçue par certains comme un «réaménagement interne», est la priorité du moment pour une population qui attend des solutions concrètes aux défis économiques et sociaux. Mettre en œuvre le programme pour lequel ils ont été élus, juguler l’inflation, créer des emplois, assurer l’accès aux services de base : tels sont les chantiers urgents qui pourraient éclipser un débat institutionnel jugé secondaire par une grande partie des Sénégalais.
Si le projet de réforme est confirmé, il constituera un test majeur pour la nouvelle gouvernance. La manière dont le débat sera mené, la transparence du processus, et la capacité à convaincre l’opinion publique de la pertinence de cette initiative seront déterminantes. Une réforme hâtive ou perçue comme un simple arrangement de pouvoir pourrait fragiliser la confiance que les Sénégalais ont placée dans leurs nouveaux dirigeants. Le défi est de taille : démontrer que cette évolution institutionnelle est au service du bien commun et non d’intérêts partisans. L’avenir de la confiance populaire est en jeu.
Le Sénégal se trouve à un carrefour. La polarisation politique a ouvert la voie à une nouvelle ère, mais elle a aussi laissé des cicatrices profondes. La question du renforcement des pouvoirs du Premier ministre, dans ce contexte, ne relève pas seulement d’une technicité juridique, mais d’un enjeu politique majeur. Elle déterminera l’équilibre des pouvoirs, la nature de la démocratie sénégalaise, et la capacité du nouveau régime à unifier plutôt qu’à diviser davantage.
L’avenir dira si cette quête d’un nouvel équilibre institutionnel apaisera la «bipolarité» politique ou, au contraire, alimentera de nouvelles tensions. La balle est dans le camp des nouveaux dirigeants : sauront-ils saisir cette opportunité pour le bien du Sénégal ?